Je pleure et je souris en même temps
On ne veut plus ressentir d’émotions désagréables. On veut s’en préserver,
être dans le bien-être tout le temps.
D’une part, ce n’est pas possible, et d’autre part, ce n’est pas souhaitable.
Une palette incroyable d’émotions existe, et nous voulons en supprimer la plupart.
Que ferait un peintre toute sa vie avec simplement un dégradé de vert et rien de plus ?
Emotion, en latin se dit « emovere » qui veut dire « mouvement ». L’émotion est un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur.
La joie est une émotion agréable dont découle une grande gamme d’autres émotions agréables, qui sont déjà nourries, comblées. On est joyeux, apaisée, dans la gratitude, en harmonie, heureuse, aux anges, en paix, comblé… parce que nous avons nourri un besoin.
Je suis triste (émotion désagréable) car tu me manques (besoin) -> je te vois (besoin nourri) => je suis heureuse (émotion agréable)
Les émotions sont là pour nous avertir, nous protéger, nous informer sur ce qui se passe à l’intérieur de nous. La plupart du temps, nous avons accès aux émotions primaires : joie, tristesse, colère, peur, dégoût, surprise. Mais nous les ressentons fortement, le curseur n’est pas bien flexible, la précision est très faible. Et puisque nous ne savons pas quel type de besoin nous avons à nourrir, nous nous mettons à manger, fumer, boire, faire du sport, travailler à outrance, multiplier les partenaires sexuels, faire plein de loisirs… pour ne pas vivre pleinement l’émotion qui nous parle.
Lorsque nous sommes très sensibles, nous vivons fortement et dans les extrêmes les émotions, sans nuance, et lorsque nous n’avons pas beaucoup accès à elles, nous avons besoin de vivre des choses intenses, très intenses, trop intenses même, afin de nous sentir en vie.
Là où une simple caresse pourrait nous suffire pour nous sentir bien, nous avons vraiment besoin d’un évènement bien plus fort pour ressentir une émotion.
Une simple frustration va donc devenir un énorme vide, que nous devons vite combler, par n’importe quel moyen. Souvent, les moyens employés étant nocifs pour nous. La frustration devait nous renseigner sur un besoin qui n’est pas comblé chez nous, et elle devient la plus grande des déprimes. La précision est mince, car nous sommes analphabètes de nos émotions.
Or, imaginez une alarme incendie qui se mettrait à sonner simplement lorsque le feu a pris toute la maison…
En ayant une gamme d’émotions restreinte, nous sommes donc comme une alarme de l’extrême. Par conséquent, nous n’arrivons pas à déceler finement quelle est l’émotion appropriée et le besoin qui en découle. Nous ne savons donc pas réellement comment y répondre.
J’ai beaucoup pleuré dans ma vie, pourtant j’ai rarement ressenti la tristesse.
Je veux dire que j’ai rarement pris le temps de voir exactement de quelle couleur était mon émotion. Alors souvent ça allait dans des extrêmes profonds, avec des idées très noires, de la colère, de la déprime… Tout était une catastrophe. Pas de nuance, pas de finesse.
Lorsque j’ai laissé la tristesse m’envahir je n’ai pas eu besoin de compresser par un substitut. J’ai pris le temps de la vivre et j’ai écrit ce que je ressentais. Elle est sortie dans les larmes et dans la plume, et j’ai été heureuse d’ouvrir un autre espace en moi, d’ajouter une nouvelle couleur à ma palette d’émotions, de différencier ce que je ressentais, comme une chirurgienne qui sait exactement à quel endroit elle peut couper et à quel endroit il ne faut pas, au millimètre près.
Vivre ses émotions avec une précision chirurgicale c’est s’ouvrir à toute la beauté de la vie, accéder à son cahier de charges intérieures, prendre le temps de les lire, de les comprendre et de mettre en place des actions pour changer ce qui doit l’être.
S’alphabétiser aux émotions veut dire grandir. Grandir en tant que personne, mais également grandir le monde. On ne fait pas de mélodie qu’avec une seule note, on fait un son. La vie est plus que ça, la vie est nuancée, riche, étonnante et passionnante.
Moins nous avons de nuances dans nos émotions, plus nous souffrons, car nous vivons dans les extrêmes, sans le savoir.
La tristesse
Un pigeon ramasse des brindilles et se cache un haut d’un mur dans les branches d’un buisson.
L’encre du stylo se gonfle doucement sous la goute ronde tombée sur le cahier.
La sérénade des oiseaux accompagne la musique des larmes qui glissent sur mes joues. C’est la musique de la tristesse, c’est le son de la vie qui coule dans mes veines. Je prends le temps d’écouter ses notes, les apprécier, comme un cadeau de la vie. Beaucoup de gens n’ont jamais entendu cette chanson, cette douce mélodie aux couleurs d’automne. Beaucoup de personnes ont le cœur fermé et ne ressentent que les gros bruits lourds et douloureux de la colère, la déprime ou le déroutant plaisir explosif de la joie. Sans nuances, palettes de couleurs musicales restreintes, nuances de vie limitées.
La tristesse coule doucement sur la feuille en papier, et les arbres continuent leur valse dans le vent. Un ciel bleu parsemé de nuages annonce une belle journée.
La vie bat à l’intérieur de moi. C’est ça la tristesse, de la vie qui secoue le cœur. Cette émotion ne demande rien d’autre, simplement d’être vécue. Elle ne demande pas de nourriture, pas l’alcool, de cigarette, de sexe ou je-ne-sais-quoi-d’autre…
Un petit bourdon continue sa quête de pollen. C’est sa vie.
La tristesse joue une musique nostalgique aux couleurs ocres et elle veut que je sois sa seule témoin. Elle veut que je l’écoute avec le cœur, le corps et l’esprit. Elle ne demande pas de crier ou de violenter l’autre. Elle veut simplement du temps pour nettoyer aux larmes ce qui doit passer dans le passé.
L’eau est la condition de la vie. Les larmes sont de l’eau salée. Certaines additions sont plus salées que d’autres.
Je pleure. Je laisse la tristesse couler. Je n’ai besoin de rien d’autre venant de l’extérieur pour vivre cette émotion.
Je pleure, mais je ne pleure pas parce que c’est fini. Ce que j’ai vécu est beau et sera toujours en moi. Ces souvenirs me remplissent de joie car ils existent à jamais dans mon cœur. Je pleure, mais je souris en même temps.
article écrit par Loredana Flori